Site consacré à la psychopathologie
des adolescents, des jeunes adultes et des autres...

Partages Publication dans l'accueil / lire les autres articles

Fable : Les deux ânes.

22

mai

Âne

Deux ânes vont au marché : le premier porte du sel, le second du coton. Le premier avance lourdement et le second d’un pas léger. Il fait chaud. Les ânes longeant une rivière, décident de s’y baigner pour se rafraîchir. Ils prennent leur temps, nagent et se roulent dans la boue pour s’égayer, avant de reprendre la route du marché. Le premier avance maintenant d’un pas allègre, le second traine la patte.

Cette parabole russe m’a beaucoup réjoui. Voilà deux êtres sympathiques (les humains, et particulièrement les enfants, ont toujours aimé les ânes) confinés dans leur réel inégalitaire. L’un est nanti d’un lourd fardeau. Sa charge est indépendante de sa personne, il n’a eu aucune prise sur le fait que son propriétaire, son dieu ou son destin, ait décidé de lui faire porter du sel. Le second, peut toujours penser que c’est grâce à son propre mérite que sa charge est légère, mais, pour les mêmes raisons que son compère il n’a en réalité décidé de rien. Passons rapidement sur le fait que ce qui meut ou en tout cas, met en route les baudets, c’est un marché ; car d’aucuns seraient tenté de reconnaitre dans ce but ultime, l’incitation provoquée par le spectre hideux de l’objet a, lequel pourrait prendre l’apparence de la carotte inaccessible brandie sous les yeux du premier.

Quoiqu’il en soit, la seule chose qui engage la responsabilité de ces sympathiques équidés, c’est la décision du bain. À la suite de ce divertissement pris sur le chemin du labeur, les rôles se trouveront renversés. C’est une révolution provoquée par la baignade : tout change et le réel reprend ses droits : l’un pâtit, l’autre s’ébaubit, rien de bien nouveau. Le bain scande le réel par un évènement qui se révèlera après-coup symbolique, susceptible de provoquer un emballement imaginaire chez les ânes (comme chez le commentateur).

Il est probable que l’âne chargé de sel et dès lors allégé, ne dira rien : quand on a bonne fortune mieux vaut se taire de crainte de s’assurer jalousies et inimitiés. Tout au plus se fera-t-il prédicateur à l’égard de l’autre, qui maintenant gémit : « je t’avais bien dit qu’il ne fallait pas perdre son temps à se baigner ! » Prédiction, là-aussi qui ne vaut, comme toute prédiction d’ailleurs, que de son après-coup. Ce qui devrait rendre modeste ceux qui ne cessent de répéter à satiété : « gouverner c’est prévoir ».

En revanche l’âne alourdi peut tirer parti de son nouveau fardeau, à la condition d’une part d’être un ignorant inquiet de son ignorance, ce qui le poussera à devenir un âne physicien, et d’autre part d’être en capacité de lire chez un autre une différence (la parabole eut été sans fondement s’il n’y avait pas eu au moins deux ânes). Il vérifiera ainsi une loi du réel : le coton chargé d’eau retient cette dernière et augmente son poids. Et s’il pousse un peu plus loin : le sel à l’étrange propriété de se dissoudre dans l’eau et donc de disparaitre progressivement du sac qui le retient. L’âne empesé, supposé sachant mais ne sachant rien, en sortira un peu moins bête, ce qui ne doit surtout pas signifier qu’il en oublierait son humble condition d’âne, car il perdrait alors toute chance de devenir un physicien pour ne pas dire un âne savant. (L’Âne est une revue de psychanalyse datant des temps héroïques de celle-ci).

Cette jolie fable appelle une morale. Comme l’ont dit si bien Pascal et Giono, nous ne sommes guère responsables que de nos divertissements (un signifiant formidable qui associe le détour, à la réjouissance, et à la lutte contre l’ennui) mais nous ignorons à l’avance tout des conséquences de ceux-ci. Il nous est cependant donné la possibilité d’en savoir quelque chose par la suite, à la condition de faire fonds de notre ignorance, plutôt que d’aller fustiger celle de l’autre. Il faut reconnaitre que parfois cette condition « fait » analyse. Et, comme le concluait le regretté Vialatte, « c’est ainsi qu’Allah (ou Jéhovah ou Dieu) est grand ! »

 

Laissez-moi un commentaire




Champs Obligatoires*

Link to the anchor